Presse MIDI LIBRE
— 6 avril 1997 , Millau Magazine, Portrait
"La petite danseuse des Balkans"
De la nation croate au beffroi millavois via la terre algérienne, Silva Ricard donne vie et corps à la danse en chacun des lieux où se posent ses pieds de ballerine. Avec, souvenir tenace, le charme et le parfum de Zagreb, sa ville, au fond des yeux. Si dans notre bonne ville vous dites « danse », on vous répond « Silva Ricard », que ce soit au bistrot du coin, chez le coiffeur, dans les réunions mondaines ou les boums.
Joli succès, assis quand même sur dix-neuf ans de travail ! Et quel travail : Silva a débuté sur un terrain vierge. Millau alors ne dansait pas. De réservée à une certaine classe, la danse est devenue populaire, elle s’est faite culture. Vraie culture, vivante, jeune, créative, mais rigoureuse, grandissant toujours sur la base immuable du « classique ». Tant il est vrai qu’on ne peut bâtir sans fondations, faire du théâtre sans Molière, lire sans l’Odyssée. Il faut canaliser l’enthousiasme, guider la bonne volonté, encourager l’effort des débutants. Avant de plonger dans le contemporain, dans le moderne, dans la création, il faut maîtriser son répertoire classique et cela se fait comme le musicien apprend le solfège, comme l’acteur apprend à dire. « Le lac des cygnes », « La belle au bois dormant » sont immortels, mille fois dansés, mille fois applaudis ; ils sont, avec les pas de ballets, la base de l’art de la danse. Ignorer ces fondamentaux est inconcevable. Les professeurs formés par Silva témoignent que la rigueur paie.
Pudeur et sobriété
Parmi eux, il y a Agnès Peladan qui ne peut vivre sans la danse, Luc Bazille qui a dansé chez Béjart puis chez Roland Petit. Il y a Olivier Sarrat qui a fréquenté l’Opéra de Liège avant de se fixer à Millau, et il y a tous les autres dont Silva est fière.
Aujourd’hui, son Ecole ce sont cent élèves, cent personnes qui s’épanouissent, la récompense de Silva. Mais elle aimerait faire plus, créer une compagnie dans laquelle chaque danseur irait au bout de lui-même, pour se grandir, s’accomplir, vivre et faire rêver les autres.
Silva Ricard est passion mais passion retenue, pleine de pudeur. Une passion enveloppée de sobriété, d’humilité, nouée avec une volonté et une sensibilité faite de coups de cœur. « Chez nous, on rit beaucoup, on chante beaucoup, on pleure beaucoup. »
Silva, c’est la sensibilité de cette Yougoslavie des Balkans, cent fois envahie, cent fois annexée, cent fois martyrisée mais qui n’a jamais perdu son âme, jamais vendu sa culture, jamais abandonné sa fierté. Un pays qui a su s’enrichir de ses malheurs, un pays que l’Orient et l’Occident ont déchiré mais qui a pris à l’un et à l’autre ce qu’ils avaient d’art et d’intelligence.
Silva est née à Zagreb, un mot qui éclate et fait rêver. « La plus belle ville du monde ! » Ignorez alors la larme qui s’échappe de ses yeux et écoutez Silva avec son accent bercé toujours de la musique slave, parler de ce pays et se demander jusqu’où peut aller la haine.
Son père était hongrois, sa grand-mère paternelle polonaise allemande et sa mère croate. Elle a grandi sous Tito, sous le fédérateur de cette nation yougoslave. « On aurait donné le sang pour la patrie », dit-elle. « On aurait tous défendu la pays aux frontières ». Et puis Tito a disparu et le nationalismes ont refait leur apparition.
Elle fait ses études à Zagreb, ignorant qu’elle était privée de liberté ; elle s’en rendra compte plus tard, et puis comme elle le dit « qu’est-ce que la liberté ? »
Extraordinaire émulation
Parce que le hasard a voulu un jour, sous les traits d’une passante, dire à sa mère « cette enfant devrait faire de la danse », Silva trace son chemin de petite Yougoslave dans cet art.
L’initiation n’assouvit pas sa nouvelle passion. Elle entre au conservatoire où rigueur, travail, ténacité règnent en maître et danse à l’Opéra de Zagreb.
Elle écoute et joue Prokofiev, elle danse avec Oskar Harmos Milenkovikic, un Polonais au fort caractère, et travail avec l’école russe, le top toujours.
Elle côtoie artistes, écrivains, ne sait pas qu’elle vit dans un milieu protégé et rêve de Paris où certains de ses amis viennent de danser. Elle a vingt-deux ans et un coup de cœur pour un jeune Français en vacances à Dubrovnick. Elle dit oui en anglais, deviendra Madame Ricard, aura un autre coup de cœur pour Millau et apprendra le français avec ses enfants.
Elle suit Jacques, coopérant, en Algérie, à Bône. Là, le théâtre très beau n’est pas utilisé. Elle réactive le conservatoire fréquenté au début par les coopérants et, petit à petit, par la bourgeoisie algérienne.. Trois cent élèves ! une émulation extraordinaire. Là-bas, elle est en contact avec la musique du Maghreb qui, au début, lui fait mal aux oreilles ! sa soif de connaître, son ouverture d’esprit, ses gênes d’Europe centrale habituées au métissage l’entraînent bien vite à apprécier un mélange de Bach et de musique africaine.
Et c’est de cela qu’est pétrie Silva ! C’est tout cela, cette énorme culture, faite d’échange et de respect, de sensibilité, de joie et de tristesse qu’elle veut faire partager, qu’elle veut faire vivre.
Vivre la musique
La preuve ? elle organisera avec l’association « Corps et Graphie » des stages où seront accueillis amateurs, novices et professeurs, pour échanger et apprendre aux côtés de professeurs tels que Rudy Brians, danseur étoile chez Roland Petit, Tancredo Tavarez, danseur dans la Compagnie Martha Graham, référence de la danse contemporaine, tout juste arrivé de New-York. Tout simplement parce que Marie-Anne, une ancienne élève de Silva, est devenue Madame Tavares.
Silva, c’est encore la création chorégraphique, la mise en scène, les costumes ; pour les décors, il y a toujours Bernard Dugrip, pour les costumes, Claudine Dumas.
Quand Silva parle danse, on regrette beaucoup sa propre inculture ! D’autant qu’elle y rattache piano, solfège, histoire et analyse musicale. Un danseur vit la musique, danser présuppose une écoute attentive, un partage musical. C’est devenir « maître de son corps, maître de la musique ». attention, rien de compassé, rien de snob, rien d’un donneur de leçon ! oh non !
La petite fille de Zagreb ne sait que convaincre et partager pour mieux chanter et pleurer. Savez-vous pourquoi l’auteur de ces lignes a écouté toute la soirée Tchaïkovsky et revu Petrouchka ? Le charme, le charme, d’une voie bercée d’un accent slave qui part du cœur…
"La petite danseuse des Balkans"
De la nation croate au beffroi millavois via la terre algérienne, Silva Ricard donne vie et corps à la danse en chacun des lieux où se posent ses pieds de ballerine. Avec, souvenir tenace, le charme et le parfum de Zagreb, sa ville, au fond des yeux. Si dans notre bonne ville vous dites « danse », on vous répond « Silva Ricard », que ce soit au bistrot du coin, chez le coiffeur, dans les réunions mondaines ou les boums.
Joli succès, assis quand même sur dix-neuf ans de travail ! Et quel travail : Silva a débuté sur un terrain vierge. Millau alors ne dansait pas. De réservée à une certaine classe, la danse est devenue populaire, elle s’est faite culture. Vraie culture, vivante, jeune, créative, mais rigoureuse, grandissant toujours sur la base immuable du « classique ». Tant il est vrai qu’on ne peut bâtir sans fondations, faire du théâtre sans Molière, lire sans l’Odyssée. Il faut canaliser l’enthousiasme, guider la bonne volonté, encourager l’effort des débutants. Avant de plonger dans le contemporain, dans le moderne, dans la création, il faut maîtriser son répertoire classique et cela se fait comme le musicien apprend le solfège, comme l’acteur apprend à dire. « Le lac des cygnes », « La belle au bois dormant » sont immortels, mille fois dansés, mille fois applaudis ; ils sont, avec les pas de ballets, la base de l’art de la danse. Ignorer ces fondamentaux est inconcevable. Les professeurs formés par Silva témoignent que la rigueur paie.
Pudeur et sobriété
Parmi eux, il y a Agnès Peladan qui ne peut vivre sans la danse, Luc Bazille qui a dansé chez Béjart puis chez Roland Petit. Il y a Olivier Sarrat qui a fréquenté l’Opéra de Liège avant de se fixer à Millau, et il y a tous les autres dont Silva est fière.
Aujourd’hui, son Ecole ce sont cent élèves, cent personnes qui s’épanouissent, la récompense de Silva. Mais elle aimerait faire plus, créer une compagnie dans laquelle chaque danseur irait au bout de lui-même, pour se grandir, s’accomplir, vivre et faire rêver les autres.
Silva Ricard est passion mais passion retenue, pleine de pudeur. Une passion enveloppée de sobriété, d’humilité, nouée avec une volonté et une sensibilité faite de coups de cœur. « Chez nous, on rit beaucoup, on chante beaucoup, on pleure beaucoup. »
Silva, c’est la sensibilité de cette Yougoslavie des Balkans, cent fois envahie, cent fois annexée, cent fois martyrisée mais qui n’a jamais perdu son âme, jamais vendu sa culture, jamais abandonné sa fierté. Un pays qui a su s’enrichir de ses malheurs, un pays que l’Orient et l’Occident ont déchiré mais qui a pris à l’un et à l’autre ce qu’ils avaient d’art et d’intelligence.
Silva est née à Zagreb, un mot qui éclate et fait rêver. « La plus belle ville du monde ! » Ignorez alors la larme qui s’échappe de ses yeux et écoutez Silva avec son accent bercé toujours de la musique slave, parler de ce pays et se demander jusqu’où peut aller la haine.
Son père était hongrois, sa grand-mère paternelle polonaise allemande et sa mère croate. Elle a grandi sous Tito, sous le fédérateur de cette nation yougoslave. « On aurait donné le sang pour la patrie », dit-elle. « On aurait tous défendu la pays aux frontières ». Et puis Tito a disparu et le nationalismes ont refait leur apparition.
Elle fait ses études à Zagreb, ignorant qu’elle était privée de liberté ; elle s’en rendra compte plus tard, et puis comme elle le dit « qu’est-ce que la liberté ? »
Extraordinaire émulation
Parce que le hasard a voulu un jour, sous les traits d’une passante, dire à sa mère « cette enfant devrait faire de la danse », Silva trace son chemin de petite Yougoslave dans cet art.
L’initiation n’assouvit pas sa nouvelle passion. Elle entre au conservatoire où rigueur, travail, ténacité règnent en maître et danse à l’Opéra de Zagreb.
Elle écoute et joue Prokofiev, elle danse avec Oskar Harmos Milenkovikic, un Polonais au fort caractère, et travail avec l’école russe, le top toujours.
Elle côtoie artistes, écrivains, ne sait pas qu’elle vit dans un milieu protégé et rêve de Paris où certains de ses amis viennent de danser. Elle a vingt-deux ans et un coup de cœur pour un jeune Français en vacances à Dubrovnick. Elle dit oui en anglais, deviendra Madame Ricard, aura un autre coup de cœur pour Millau et apprendra le français avec ses enfants.
Elle suit Jacques, coopérant, en Algérie, à Bône. Là, le théâtre très beau n’est pas utilisé. Elle réactive le conservatoire fréquenté au début par les coopérants et, petit à petit, par la bourgeoisie algérienne.. Trois cent élèves ! une émulation extraordinaire. Là-bas, elle est en contact avec la musique du Maghreb qui, au début, lui fait mal aux oreilles ! sa soif de connaître, son ouverture d’esprit, ses gênes d’Europe centrale habituées au métissage l’entraînent bien vite à apprécier un mélange de Bach et de musique africaine.
Et c’est de cela qu’est pétrie Silva ! C’est tout cela, cette énorme culture, faite d’échange et de respect, de sensibilité, de joie et de tristesse qu’elle veut faire partager, qu’elle veut faire vivre.
Vivre la musique
La preuve ? elle organisera avec l’association « Corps et Graphie » des stages où seront accueillis amateurs, novices et professeurs, pour échanger et apprendre aux côtés de professeurs tels que Rudy Brians, danseur étoile chez Roland Petit, Tancredo Tavarez, danseur dans la Compagnie Martha Graham, référence de la danse contemporaine, tout juste arrivé de New-York. Tout simplement parce que Marie-Anne, une ancienne élève de Silva, est devenue Madame Tavares.
Silva, c’est encore la création chorégraphique, la mise en scène, les costumes ; pour les décors, il y a toujours Bernard Dugrip, pour les costumes, Claudine Dumas.
Quand Silva parle danse, on regrette beaucoup sa propre inculture ! D’autant qu’elle y rattache piano, solfège, histoire et analyse musicale. Un danseur vit la musique, danser présuppose une écoute attentive, un partage musical. C’est devenir « maître de son corps, maître de la musique ». attention, rien de compassé, rien de snob, rien d’un donneur de leçon ! oh non !
La petite fille de Zagreb ne sait que convaincre et partager pour mieux chanter et pleurer. Savez-vous pourquoi l’auteur de ces lignes a écouté toute la soirée Tchaïkovsky et revu Petrouchka ? Le charme, le charme, d’une voie bercée d’un accent slave qui part du cœur…